Une cité commerciale
Comme toute cité ancienne, Le Croisic compta très tôt des rendez-vous commerciaux réguliers où marchands et habitants pouvaient vendre et acheter les denrées du quotidien mais aussi toutes sortes de marchandises apportées par les bateaux.
Par contre, Le Croisic n’avait pas, comme à Guérande ou dans d’autres villes, des foires et marchés officiels, reconnus par le pouvoir ducal, et sources évidentes de revenus pour la cité qui les accueillait. Mais cela est facilement compréhensible quand on connaît le relatif isolement du Croisic et sa configuration géographique.
Si l’on ne situe pas précisément les premiers lieux où se tenait le marché quotidien, on peut supposer toutefois que la place de la maison de ville, actuelle place Dinan, ait été pour un temps le lieu privilégié du marché extérieur. Il faut également préciser qu’autrefois le marché se tenait rarement sur un seul emplacement mais plutôt sur plusieurs lieux avec des spécialisations (viande, poisson…)
Le marché aux grains
À partir du XVIIIe siècle, les localisations évoluent. La place du Requiert est souvent dénommée à cette époque, place du Marché au Bois, en référence sans doute à la vente de ce matériau sur cette place.
En 1754, à la faveur du remblaiement de l’étier qui coupait la cité en deux à la hauteur de l’actuelle place Donatien Lepré, une nouvelle place est créée et devient bientôt le Marché aux Grains. C’est sur ce site, comme l’indiquent quelques cartes postales anciennes du début du XXe siècle, que le marché s’implante définitivement au pied de l’hôtel d’Aiguillon. On ne parle plus désormais que de place du Marché.
La disposition du marché extérieur était assez différente de ce que l’on connaît aujourd’hui et correspondait plus à ce que l’on peut encore voir dans certains pays étrangers.
Les marchands arrivaient le matin avec leurs paniers ou charrettes chargés de produits et se posaient à même le sol sur la place, au gré des emplacements disponibles. Certains étals se limitaient à un simple panier ou à une caisse contenant les produits à vendre dans une simplicité, voire une anarchie « bon enfant » qui fait encore tout l’attrait des marchés extérieurs. Les agriculteurs et pêcheurs locaux étaient apparemment les principaux acteurs de ces marchés.
Bien que ville ancienne et prospère, Le Croisic n’eut jamais de halles ou cohue comme dans beaucoup de villes bretonnes. Le rez-de-chaussée de la maison de ville de la place Dinan était réservé aux bouchers et ne paraît pas avoir servi de marché couvert.
Vente du poisson
Il faudra finalement attendre l’année 1857 pour voir apparaître une première construction dédiée, en l’occurrence à la vente du poisson. Cette halle ouverte fut implantée sur la place d’Armes, ce qui ne fut pas du goût de l’État, propriétaire du sol, qui demanda bientôt la suppression de cette structure. Le développement de la pêche à la sardine et des conserveries rend peu à peu indispensable la construction d’une halle à marée.
Elle voit le jour en 1878 sur la jonchère de la Motte. Premier bâtiment public dédié au commerce, la sal-rie poissonnerie, plus connue sous le nom d’ancienne criée, affirme son statut municipal avec les armes de la cité au fronton de l’édifice. Une horloge vient par ailleurs concurrencer pour la première fois celle de l’église. La vente du poisson dispose désormais d’un lieu de vente à la hauteur de l’importance de cette activité.
Concernant les denrées alimentaires, il faudra attendre 1932 pour voir un projet de marché couvert se concrétiser. Le besoin s’en fait sentir dès le début du XXe siècle avec le développement du tourisme. Le Croisic a par ailleurs élaboré un plan d’embellissement en 1921 qui propose, entre bien d’autres actions, de construire un marché couvert.
Concours d’architecture
Le projet donne lieu à de nombreuses discussions, en particulier sur l’emplacement. Certains élus voient naturellement ce marché couvert sur la place Dinan tandis que d’autres souhaitent ne pas obérer cet espace arboré et préfère rechercher un autre site.
La Commune a finalement l’opportunité d’acheter une grande propriété entre la rue Saint-Yves et la rue des Cordiers, la maison Bouleau. La parcelle très large en façade, présente l’intérêt également d’être traversante. On peut souligner toutefois le manque de recul sur les façades du fait de l’étroitesse des rues. C’est pourtant ce site qui est retenu par le Conseil Municipal.
La maison Bouleau est démolie. Un concours d’architecture est lancé par le maire de l’époque, Auguste Masson. Les documents conservés soulignent que deux types de projets sont proposés, un projet traditionnel de type marché Baltard en fer forgé et un projet moderniste en béton armé.
Ingénieur de formation et sensible aux matériaux modernes, le maire Auguste Masson plaide en faveur du projet en ciment armé de l’architecte Maurice Bourguignon, plus adapté selon lui au climat marin, le fer risquant d’être très vite corrodé.
Les armes du Croisic
Le Conseil Municipal suit la proposition du Maire. Le projet de l’architecte Bourguignon sera toutefois simplifié même si la distribution générale est conservée. Il faut souligner le mariage d’une architecture à la fois Art Déco et moderniste dans ce projet, faisant de cette construction l’une des plus originales de cette époque pour la région.
Le nouveau marché couvert se compose de trois nefs juxtaposées, couvertes de voiles de béton cintré et largement éclairées de verrières avec armatures à fer plat sur chacune des façades. L’intérieur est traité dans l’esprit hygiéniste de l’époque avec des parois en carrelage type Métro, blanc à liserer vert, et un sol en carreaux cassés façon mosaïque. Les façades extérieures sont décorées de panneaux en gravillons lavés tandis que la structure en béton est soulignée par un blanc éclatant affirmant la modernité de l’édifice.
Le fronton de chaque façade porte les armes du Croisic réalisées en mosaïque par la société nantaise Mosaïc Art, répondant aux blasons de la criée ou encore de la Poste. Un logement de gardien est aménagé côté rue des Cordiers et des sanitaires publics sont intégrés sur chacune des façades. La construction est réalisée par la maison Piron et l’aménagement intérieur par la société Graiblanc, toutes deux de Paris.
Modernité et hygiène
On se doute qu’un tel bâtiment dû étonner à l’époque dans un tissu ancien comme Le Croisic où il tranche radicalement mais il correspondait à l’époque à une volonté municipale évidente de modernité et d’hygiène.
Les bains-douches de la rue des Cordiers et l’abattoir de la rue du Flot seront construits à l’époque dans cette même logique. L’ouverture du nouveau marché couvert en 1932 s’accompagne d’une relocalisation du marché extérieur sur la place Dinan.
Les différentes interventions réalisées au cours du XXe siècle ont fait perdre peu à peu une partie de son caractère au bâtiment, en particulier le changement des verrières type atelier par des châssis aluminium dans les années 1970.
L’intérieur a été entièrement rénové en 2004 pour des raisons sanitaires faisant disparaître le carrelage caractéristique des années 1930.
La façade a été ravalée en 2014 ce qui permet de redonner un aspect plus avenant à cette construction, élément marquant du patrimoine architectural du XXe siècle au Croisic.
®© Laurent Delpire, historien et conservateur du Patrimoine.